Couper les liens avec la GRC en faveur d’une police provinciale

Écrit par : Isaac Lamoureux

27 janvier 2022

Kevin Bell et Isabelle Laurin

L’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) a demandé au ministère de la Justice et du Solliciteur général de tenir une consultation en français sur le projet albertain de transition vers un corps de police provinciale. Cette demande a été bien reçue par les autorités compétentes. C’est donc le 5 janvier dernier qu’a eu lieu cette consultation organisée par le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC) et animée par Douglas Morgan, le directeur général du Alberta Provincial Police Service Transition Secretariat.

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Malgré les balbutiements d’une traduction simultanée en français, ils étaient plus d’une trentaine de francophones à participer à cette consultation. La plupart étaient des représentants d’organismes francophones et des juristes, mais il y avait aussi des particuliers ayant un attachement pour la cause des services en français.

Parmi eux, Kevin Bell, ancien gérant de programme dans le système carcéral, évoque sa frustration : les participants ne pouvaient pas questionner l’animateur sur la réelle raison d’une transition vers une police provinciale au détriment de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). «On n’en a toujours pas la moindre idée!»

En mai 2020, le comité sur une entente équitable a recommandé au gouvernement de l’Alberta de créer un service de police provinciale et de remplacer ainsi la GRC sur le terrain. En octobre de la même année, PwC a été mandatée pour mener une étude sur une telle transition en Alberta. Une transition déjà effectuée en Ontario, au Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador.

Sceptique, Kevin Bell ne comprend d’ailleurs pas cette collaboration. «Cela m’a paru bizarre de voir une compagnie […] sans expertise reconnue dans les questions de justice.» Il ajoute néanmoins que certains participants appréciaient l’ouverture et l’honnêteté des débats, alors que lui a trouvé que cette consultation ne prenait aucunement en compte «les impacts d’un tel projet sur les groupes minoritaires».

La perte de services en français 

La GRC doit respecter les droits constitutionnels que la Charte canadienne des droits et libertés donne aux citoyens, dont la possibilité de travailler et d’obtenir des services policiers dans les deux langues officielles partout au Canada.

La directrice générale de l’ACFA, Isabelle Laurin, présente lors de la consultation, désire «apporter des éclairages quant aux obligations linguistiques de la GRC». Elle veut s’assurer que si la police devient provinciale, les francophones ne seront pas oubliés lors de cette transition.

«La GRC est peut-être mieux équipée pour travailler sur les dossiers francophones.» Kevin Bell

Kevin Bell partage cette inquiétude et ajoute que «la GRC est peut-être mieux équipée pour travailler sur les dossiers francophones». Lui qui était présent à Montréal pendant la crise d’Oka en 1990 s’inquiète aussi d’une possible non-représentation des groupes minoritaires dans les forces de police. Il cite également l’exemple de la crise d’Ipperwash en 1995.

La crise d’Oka est un évènement politique marquant qui a opposé les Mohawks au gouvernement québécois puis canadien durant l’été du 11 juillet au 26 septembre 1990. La crise a exigé l’intervention de l’armée canadienne après l’échec de l’intervention de la Sûreté du Québec.

(Source : L’Encyclopédie canadienne)

La crise d’Ipperwash est une crise politique qui a opposé les Ojibwés au gouvernement ontarien en 1995. Elle a eu lieu dans le parc provincial d’Ipperwash. La tension est montée entre les protestataires et la Police provinciale de l’Ontario jusqu’à la confrontation le 6 septembre 1995. Dudley George, un manifestant ojibwé, a perdu la vie lors de cette confrontation.

(Source : L’Encyclopédie canadienne)

Le recrutement francophone 

Interrogé sur les quotas d’embauche de policiers francophones, Douglas Morgan a répondu : «à ce stade, nous ne sommes pas encore assez avancés pour avoir des spécificités de ce genre, mais nous pouvons certainement prendre cela en considération».

Isabelle Laurin estime qu’après plusieurs décennies de collaboration avec la GRC, l’Alberta a accru la qualité de ses services en français. Elle indique que «la communauté francophone ne s’attend à rien de moins».

Actuellement, la GRC est présente dans 42 écoles francophones en Alberta. Selon la directrice de l’ACFA, «si nous voulons avoir un service équivalent, il est très important de maintenir un corps de police qui compte un bon nombre de personnes parlant les deux langues officielles».

«Si nous voulons avoir un service équivalent, il est très important de maintenir un corps de police qui compte un bon nombre de personnes parlant les deux langues officielles.» Isabelle Laurin

De son côté, Kevin Bell explique que de nombreux policiers de la GRC sont des Québécois présents en Alberta sur une rotation professionnelle. Il confirme qu’un tel changement peut engendrer la perte de ces policiers «désireux d’aller travailler dans d’autres provinces». La question du recrutement en Alberta est alors posée.

Surmonter les obstacles politiques et le coût d’une telle transition

Si le Nouveau Parti démocratique (NPD) gagne les prochaines élections provinciales au printemps 2023, Kevin Bell, proche partisan du NPD, sait que celui-ci «n’est pas en faveur de cette transition». Il ajoute «que la consultation a montré que cela va coûter énormément d’argent et impliquer beaucoup d’investissements pour avoir une force policière aussi bilingue que les forces de l’ordre déjà en place».

Kevin Bell estime que si le gouvernement provincial dépense davantage afin de mieux former les policiers alors «il est possible d’avoir une force de police plus efficace que la GRC». Kevin Bell reste finalement sceptique sur la volonté des francophones à rejoindre les rangs de cette nouvelle police.