Vital pour la communauté, l’entrepreneuriat social peut avoir ses limites

Écrit par : Isaac Lamoureux

24 mars 2022

Mots-clés : Vie communautaire

Les femmes suivent avec attention le cours donné par une couturière professionelle.
Les femmes suivent avec attention le cours donné par une couturière professionelle. Crédit: Courtoisie

En Alberta, l’entrepreneuriat social se présente sous de nombreuses formes. Deux organismes locaux, l’Alliance Jeunesse-Famille de l’Alberta Society (AJFAS) et le Conseil de développement économique de l’Alberta (CDÉA), jouent leur rôle en contribuant à la communauté francophone. Joris Desmares-Decaux et Luketa M’Pindou soulignent le succès de leurs organismes, mais soulignent aussi certaines problématiques économiques liées au milieu minoritaire albertain.

Isaac Lamoureux
IJL – Réseau.Presse – Le Franco

La Harvard Business School définit l’entrepreneuriat social comme «toute stratégie ou activité» gérée par un organisme sans but lucratif (OSBL) afin de générer des revenus et soutenir une mission sociale. Une définition qui s’est raffinée dans le temps afin d’y inclure les sociétés commerciales ou les entités du secteur public qui s’engagent à développer des activités valorisant l’aspect social dans la production de biens ou de services.

Bien qu’il s’agisse principalement d’initiatives d’OSBL, les organisations privées intègrent également des politiques d’entrepreneuriat social qui aident et soutiennent leurs communautés. Tous les fonds générés par ses organisations sont dirigés vers les bénéficiaires des questions sociales sur lesquelles elle se concentre.

Luketa M'Pindou

Luketa M’Pindou. Crédit : Courtoisie

La Coopérative de couture de femmes Francophones africaines, pilotée par Luketa M’Pindou, le directeur général et fondateur de l’AJFAS, offre un premier pas vers l’autonomie. Elle propose des cours de couture aux femmes qui veulent en faire leur métier ou tout simplement intégrer une communauté grâce à un apprentissage du quotidien.

Il souligne d’ailleurs qu’il existe une section avec des professionnels de la couture dans l’objectif de travailler avec elles et mettre en valeur leur expertise. Luketa M’Pindou explique que «l’objectif est de toucher la communauté surtout dans le monde africain, mais aussi moderne».

«L’objectif est de toucher la communauté surtout dans le monde africain, mais aussi moderne.» Luketa M’Pindou

Luketa M’Pindou est persuadé que la coopérative de couture est un bel exemple d’entrepreneuriat social dans la communauté francophone de l’Alberta. La coopérative a d’ailleur reçu un financement du Conseil de développement économique de l’Alberta pour démarrer et a aussi le soutien de l’AJFAS pour le volet social.

Le Conseil scolaire Centre-Nord lui aussi collabore au projet en offrant, à un prix modique, l’accès au gymnase de l’école Michaëlle-Jean pour les cours de couture qui ont lieu tous les samedis. «Pour nous, c’est un cadeau», explique le fondateur de l’AJFAS qui envisage d’ouvrir le cours de couture aux élèves de l’école l’année prochaine.

«Nous avons des acteurs communautaires qui sont avec nous pour accompagner ces femmes qui aimeraient être autonomes dans la communauté», dit Luketa M’Pindou.

L’entrepreneuriat social, acteur économique au quotidien

Le directeur du développement économique et des services aux entreprises du CDÉA, Joris Desmares-Decaux, explique que l’entrepreneuriat social diffère selon les provinces et leur statut législatif.

«Au Québec, l’entrepreneuriat social, ou plutôt l’économie sociale, est beaucoup plus développé, ce qui n’est pas le cas en Alberta», dit Joris Desmares-Decaux. Il met l’accent sur la mission de ces organismes qui se lancent dans l’entrepreneuriat social. Celle-ci doit être claire et précise, l’objectif étant l’aspect social de l’utilisation des revenus générés.

Par exemple, le Café Bicyclette, une entreprise que les Edmontoniens connaissent bien, est la propriété du centre communautaire francophone d’Edmonton, La Cité francophone. Les profits de l’activité liée au café sont alors réinjectés dans le budget de La Cité francophone qui, en tant qu’OSBL, les utilise pour organiser des activités offertes à la communauté francophone dont, entre autres, le Flying Canoë Volant

Joris Desmares-Decaux explique qu’il y a donc plusieurs aspects imbriqués dans les modèles économiques afin d’en faire un modèle social. Il réitère la méconnaissance de certains de ces aspects en Alberta faute de présence importante dans le tissu économique de la province. «Ce n’est pas quelque chose qui est très développé en Alberta.»

C’est notamment pour cette raison que le CDÉA a offert, le 1er mars dernier, l’atelier Mieux connaître l’entrepreneuriat social et son impact économique pour mieux sensibiliser les entrepreneurs ou les leadeurs d’organismes à l’économie sociale, leurs avantages, mais aussi les défis qui y sont liés. Joris Desmares-Decaux dit que «c’est quelque chose qu’on souhaite continuer à développer parce que c’est une branche de l’entrepreneuriat». La prochaine conférence est prévue pour le 5 avril et sera «une belle occasion pour les personnes intéressées et curieuses de savoir ce qu’est l’entrepreneuriat social».

Des fonds que ne sont pas extensibles

Si l’entrepreneuriat social présente de nombreux avantages, il peut parfois devenir problématique. Joris Desmares-Decaux explique que le développement rapide de nombreux organismes liés à l’entrepreneuriat social dans la communauté francophone peut vite créer une concurrence vis-à-vis des fonds octroyés par le gouvernement fédéral.

«Dans notre situation minoritaire, on n’a pas besoin de compétition entre francophones. On a besoin d’une consolidation, d’une collaboration», explique-t-il. Il ajoute que cela peut-être un défi quand les entreprises sociales se créent et veulent travailler sur une niche particulière du marché sans collaborer avec les organismes déjà existants.

Joris Desmares-Decaux.

Joris Desmares-Decaux. Crédit : Archives

Il signale la facilité et la rapidité de créer, par exemple, des organismes sans but lucratif : cinq personnes, un témoin, quelques formulaires auprès du gouvernement provincial et 75 dollars. Finalement, «les gens vont se tourner vers des bailleurs de fonds réguliers et essaient de prendre un peu plus la part du gâteau que tous les organismes reçoivent», analyse Joris Desmares-Decaux.

Par conséquent, «la part du gâteau» de Patrimoine canadien sera plus petite pour tout le monde s’il y a beaucoup d’acteurs autour de la table. «C’est important d’avoir une bonne réflexion sur ce que l’on veut mettre en place comme entreprise sociale dans la communauté francophone», dit-il.

«C’est important d’avoir une bonne réflexion sur ce que l’on veut mettre en place comme entreprise sociale dans la communauté francophone.» Joris Desmares-Decaux

Il est à noter que Patrimoine canadien joue aujourd’hui un grand rôle dans la vie culturelle, civique et économique des Canadiens et des francophones en milieu minoritaire.

Malgré cette crainte avérée, Joris Desmares-Decaux voit aussi dans cette «concurrence» une occasion de devenir meilleur. «Cela nous pousse à innover.» Il explique que la concurrence amène les organisations à écouter leurs clients et à évoluer en fonction de leurs besoins. L’année dernière, le CDÉA a lancé le programme Les Elles des Affaires «qui s’adresse aux femmes entrepreneures et d’affaires d’expression française, partout en Alberta».

Le directeur du développement économique et des services aux entreprises du CDÉA conseille à ceux qui veulent devenir entrepreneurs, «choisissez bien votre mission. Choisissez bien le type d’organisme que vous voulez créer ou le type d’entreprises privées que vous voulez créer grâce à un caractère fiscal dans le but de développer la communauté et en vue de développer une nouvelle gamme de marchés et d’attirer de nouvelles clientèles. Alors, c’est très intéressant en fait et c’est des choses qui pourraient être facilement intégrées dans n’importe quel modèle d’affaires».

C’est quoi une coopérative?

C’est une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement (Source : Alliance coopérative internationale)