Il est temps de lutter contre le désert médical en français

Écrit par : Isaac Lamoureux

25 novembre 2021

Mots-clés : ProvincialSanté

Dans le cadre de la Semaine de l’immigration francophone, le Réseau santé Alberta (RSA) a tenu, le 10 novembre dernier, une rencontre-discussion sur la santé des femmes et des hommes immigrants francophones. Ce rendez-vous réunissait notamment des professionnels de la santé et des immigrants. Les débats ont été riches en informations.

Au début de l’activité, le directeur général du RSA, Paul Denis, a rappelé que le mandat de l’organisme est d’améliorer l’accès aux services de santé en français, là où se trouvent les francophones et partout en Alberta. «La santé est quelque chose qu’on possède aujourd’hui, mais pas nécessairement demain», explique-t-il. De là, de nombreux intervenants «mettent la table».

Paul Denis, le directeur général du Réseau Santé Alberta (RSA). Crédit : Courtoisie

Le Dr Nganda Luki, responsable du Centre de bien-être et de prévention pour Afro-Canadiens de l’Alberta (CBEP), va plus loin en soulevant une autre problématique. «Les immigrants arrivent en bonne santé, mais tous les immigrants ne sont pas égaux devant le problème de la santé, n’est-ce pas!» 

Il insiste sur le fait que les immigrants qui viennent des pays de l’Europe ont pratiquement le même système de soins, tandis que ceux qui arrivent d’ailleurs, de l’Afrique et de l’Asie, rencontrent un système qui est loin d’être identique à celui de leur pays d’origine.

Dre Michelle Dion, médecin de famille en Alberta depuis 2013 et récemment nommée vice-présidente du RSA, poursuit. Très rapidement, elle questionne la population immigrante pour connaître ses besoins et ainsi pouvoir y répondre de façon pertinente par l’intermédiaire du réseau de santé. Une réflexion nécessaire, encouragée quelques minutes plus tard par l’intervention d’Adolphine Asungu.

Dr Michelle Dion, récemment nommée vice-présidente du RSA. Crédit : Courtoisie

Des francophones qui ne savent pas où aller

Nouvelle immigrante francophone et observatrice, Adolphine Asungu sort de l’ombre. «Je voulais savoir comment je peux accéder aux soins de santé. C’est ça, mon problème. Je ne suis pas encore intégrée. Si vous pouvez m’aider avec ce problème-ci, j’apprécierais vraiment», explique-t-elle.

Une inquiétude s’est alors propagée. En participant à l’activité, Mme Asungu pouvait obtenir les réponses dont elle avait besoin, mais qu’en est-il de la plupart des nouveaux arrivants francophones? Des participants confirment que la plupart ne savent pas par où commencer.

Clémentine Savadogo, travailleuse sociale avec le Portail de l’Immigrant Association (PIA), soulève aussi la notion de proximité des soins de santé en français pour le public qu’elle accompagne. Elle évoque un désert médical qui les met à risque. 

En effet, elle indique que les francophones n’ont souvent d’autre choix que de consulter en anglais et «répondent à toutes les questions du médecin, sans vraiment comprendre». Une situation qui pourrait être résolue rapidement s’ils étaient notamment conscients qu’un interprète peut intervenir sur demande, surtout à l’hôpital.

Barrières linguistiques et médias sociaux : un parcours vers la désinformation

Dr Luki met l’accent sur les barrières linguistiques en évoquant une petite anecdote. Lorsque sa famille et lui ont quitté Montréal pour s’installer à Edmonton, son épouse a eu des maux de tête atroces. À l’hôpital, le médecin qui l’examine lui explique en anglais que c’est une «migraine». Dr Luki, confus, ne comprend pas. Après avoir demandé à son confrère d’écrire le mot, il s’est exclamé, «cela a fait du sens!» Migraine, en français et en anglais, s’écrit de la même façon, mais se prononce très différemment.

Si les barrières linguistiques sont un problème, les connaissances médicales sont également un sujet de préoccupation majeure pour les nouveaux arrivants francophones qui se tiennent informés grâce à la communication orale et rarement à l’écrit. 

Dr Nganda Luki, responsable du Centre de bien-être et de prévention pour Afro-Canadiens de l’Alberta (CBEP). Crédit : Courtoisie

Présente à la rencontre, Ida Kamariza, la coordonnatrice du Réseau en immigration francophone de l’Alberta (RIFA), souligne d’ailleurs que les six premiers mois sont cruciaux pour les nouveaux arrivants. «Ils doivent mettre le pain et le beurre sur la table et avoir un toit sur la tête», explique-t-elle. Alors, la littératie médicale est loin d’être une de leurs préoccupations.

Pour continuer, Dr Luki souligne que l’un des principaux moyens par lesquels les immigrants consomment l’information, c’est grâce à Facebook. Malheureusement, les réseaux sociaux véhiculent des messages erronés. «Vous n’y verrez d’ailleurs jamais les nouvelles du gouvernement du Canada ou de la santé publique.»

Si la désinformation est un problème pour tous, le Dr Luki estime qu’il faut tâcher de convaincre et de créer une relation de confiance avec les mères de famille. «Quand la maman est d’accord pour faire quelque chose, souvent l’homme et les enfants suivent.»

Des solutions pourraient voir le jour

Ida Kamariza souligne que les immigrants francophones pourraient bénéficier dès leur arrivée d’une formation. Celle-ci les aiderait à se diriger vers le réseau de santé. Elle propose que ceux-ci aient accès à un «carnet d’orientation auquel contribuent finalement tous les intervenants francophones». 

Elle ajoute que la vie va souvent trop vite pour les immigrants fraîchement arrivés. Les besoins primaires doivent être comblés et c’est leur principale préoccupation. De l’avis général, la santé mentale et physique ne devraient pas être loin derrière.

Paul Denis, directeur général du RSA depuis août 2017, valide et ajoute que certains immigrants viennent de pays où les services de santé sont peu élaborés. Il espère éventuellement mettre sur la route une clinique mobile qui pourrait faire la tournée des écoles francophones pour les enfants, mais aussi pour leurs parents. «La montagne est grande, il faut travailler ensemble pour y travailler.»

Le Centre de bien-être et de prévention pour Afro-Canadiens de l’Alberta (CBEP) est un organisme  sans but lucratif qui répond aux besoins des Afro-Canadiens et des personnes vulnérables vivant en Alberta. Il met en œuvre des programmes de sensibilisation communautaire et crée des partenariats avec les institutions de santé étatiques et non étatiques.

Le mandat du Réseau santé Alberta (RSA) est d’augmenter l’accès à des services de santé en français partout en Alberta, là où se trouvent les francophones. L’organisme agit à trois niveaux : 1) renforcer les liens avec les intervenants du domaine de la santé pour assurer une meilleure planification, coordination, offre et évaluation des soins de santé primaires offerts en français; 2) développer les capacités des groupes de santé, des professionnels d’expression française, des organismes et des institutions francophones afin de favoriser la prise en charge de sa santé; et 3) consolider l’efficience et l’efficacité opérationnelles du réseau et accroître ses compétences en matière de soins de santé primaires pour mieux répondre aux besoins.