Une série de tables rondes pour discuter du patrimoine francophone
Écrit par : Isaac Lamoureux
29 mars 2022
Mots-clés : Arts et culture, Histoire
Le 3 mars dernier, l’Institut Marcelle et Louis Desrochers pour le patrimoine et les recherches transdisciplinaires en francophonies canadiennes et internationales (IMELDA) a présenté sa deuxième table ronde ayant pour thématique la pluralité des discours patrimoniaux dans l’Ouest canadien. Présentée en collaboration de la Société historique francophone de l’Alberta (SHFA), la Faculté des Arts (MLCS), la Faculté des Études autochtones et la division de l’Éducation (CSJ), cette table ronde fait partie d’une série de trois portant sur la remise en question et le dynamisme des patrimoines francophones dans l’Ouest canadien.
Isaac Lamoureux
IJL – Réseau.Presse – Le Franco
Après le succès de la première table ronde qui s’est déroulée fin janvier, les panélistes et les participants étaient impatients de se retrouver. Srilata Ravi, directrice de l’IMELDA, explique qu’au cours de l’exercice, «on amène un changement de paradigme pour parler du patrimoine».
Elle met l’accent sur l’idée que «le patrimoine n’est plus un objet, mais un processus». Un processus qui s’inscrit et caractérise l’acte de patrimonialisation d’artefacts, de documents et autres preuves du passé matériel ou immatériel.
De son côté, Denis Perreaux, directeur général de la SHFA et panéliste, explique que l’importance du patrimoine est sa remise en question et sa valorisation.
Équipe de production de la SHFA. De gauche à droite : Isaël Huard, Ronald Tremblay, Josée Thibeault et Denis Perreaux. Crédit : SHFA
«Y a-t-il différentes façons de représenter l’histoire francophone sur la place publique?» C’est dans ces mots qu’il exprime l’importance de la compréhension du patrimoine et sa transmission, notamment aux générations futures.
Lors des présentations, des efforts ont été faits pour clarifier et améliorer les définitions des mots patrimoine et patrimonialisation. Denis Perreaux donne une définition pragmatique du patrimoine : «il est tout matériel ou pratique qu’on choisit consciemment de léguer d’une génération à l’autre».
Lieu historique de la Mission de Notre Dame des Victoires/Lac-La-Biche. De gauche à droite : Ronald Tremblay, Josée Thibeault et Denis Perreaux. Crédit : Isaël Huard (SHFA)
De son côté, Srilata Ravi en a dit plus sur la patrimonialisation. Pour se faire, elle cite une publication de l’anthropologue Julien Bondaz et des co-auteurs Cyril Isnart et Anaïs Leblon (2012). «Pour qu’une chose devienne du patrimoine, des opérations juridiques, technologiques et symboliques sont nécessaires à son égard. Des processus affectifs et cognitifs doivent être mis en place qui ne vont jamais de soi et le résultat espéré, la transmission, demande une mise à jour constante.»
Un balado qui rend l’apprentissage du patrimoine francophone accessible
Parmi les solutions visitées, Denis Perreaux a présenté un regard théorique sur le processus de patrimonialisation d’un récit historique définit auparavant par Srilata Ravi. Il évoque aussi la vision pratique de la découverte du patrimoine grâce au balado La Place produit par la Société historique. Il indique que celui-ci, comme d’autres, crée un lien important pour le patrimoine et en favorise la transmission, notamment aux générations futures, et donc son acceptation en tant que tel.
La Place en est d’ailleurs à sa quatrième saison. Chacune des saisons se concentre sur une région différente de l’Alberta. La plus récente, lancée en février dernier, couvre le nord-est de la province et plus particulièrement la ville de Saint-Paul.
Alors que le balado compte désormais plus de 45 épisodes en écoute libre, Denis Perreaux indique que «les gens découvrent qu’ils sont capables d’apprécier du contenu historique». Il annonce que la cinquième et dernière saison se déroulera dans le nord-ouest de l’Alberta et qu’elle sera diffusée à l’été 2023.
Des tables rondes destinées aussi au grand public
La richesse des propos des panélistes sur le patrimoine et son contexte ainsi que la clarification des termes utilisés durant les présentations ont fait place à une période des questions qui a mis en évidence l’intérêt et la curiosité des participants.
Pierre-Yves Mocquais, doyen du Campus Saint-Jean, explique que les tables rondes lui montrent que le patrimoine est bien vivant. Pour s’interroger ensuite sur le moment où «cette tendance d’envisager le patrimoine comme quelque chose de vivant et évolutif a commencé».
Srilata Ravi explique qu’il y a eu d’abord dans les années 1980, ce qu’on appelle le Heritage Boom. «À ce moment-là, tout est patrimoine», dit-elle. Par la suite, au début des années 2000, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a commencé à définir ce qu’est le patrimoine immatériel. Srilata ajoute qu’il y a eu alors un gain d’intérêt pour le patrimoine.
En 2006, Laurajane Smith a introduit le concept authorized heritage discourse (AHD) qui est devenu le discours occidental dominant sur le patrimoine. Il donne naissance aux études liées au patrimoine, mais aussi à la place des politiques publiques qui l’accompagnent pour désigner ou non ce qui devra être patrimonial.
Ce discours professionnel est souvent impliqué dans la légitimation et la régulation des récits historiques et culturels. Laurajane Smith critique l’UNESCO, car «l’AHD préconise une éthique de conservation telle qu’elle a été trouvée, qui part du principe que la valeur est innée dans les sites du patrimoine. Ce faisant, elle privilégie le patrimoine matériel par rapport au patrimoine immatériel et met l’accent sur la monumentalité et le grandiose, l’ancien et l’esthétique».
Srilata Ravi explique aussi que, depuis cette époque, les chercheurs, qu’ils soient anthropologues, historiens ou sociologues, ou même les personnes qui prennent en charge la conservation du patrimoine l’ont considéré différemment. Tout est parti d’une conversation, «au lieu de parler du patrimoine, on a commencé à parler des processus qui patrimonialisent», conclut-elle.
Srilata Ravi. Crédit : Courtoisie
Denis Perreaux ajoute que ce processus de patrimonialisation doit se faire grâce au dialogue avec le public. Il se transmet et le public se l’approprie. Il enchérit, «le public est essentiel».
Il ajoute d’ailleurs que jusqu’à présent «les tables rondes ont attiré un public un peu plus académique que communautaire parce que beaucoup de ces remises en question de patrimoine viennent souvent du milieu académique».
Finalement, il souhaite que ces tables rondes deviennent aussi un outil de vulgarisation et de visibilité pour le patrimoine. Il invite le grand public à faire partie de la réflexion afin de voir «un public plus large» à la troisième et dernière table ronde de cette série.
*La date de la prochaine table ronde n’a pas encore été déterminée. Le comité se réunira prochainement à cet effet. Si vous voulez y participer, consultez le site web de l’IMELDA ou abonnez-vous à l’infolettre de la SHFA.